samedi 17 mars 2018

Allô, y a quelqu'un au bout du livre ?


J'ai vu, dans des vidéos ou sur des sites, des internautes qui pensent que dans ce tableau de Ferdinand Geor Waldmüller – Die Erwartete (L'Attendue), peint en 1860, la jeune fille tient dans sa main un téléphone portable.

Leur explication : elle serait une voyageuse temporelle.

D'accord… Quand on voit des smartphones partout, il est temps de décrocher. Non ! pas le téléphone, voyons. Décrocher DU téléphone.

Un jour, ils ouvriront des centre de désintoxication pour les phony-junkies. Il y aura des pièces de sevrage, construites à l'intérieur d'une cage de Faraday. Pas de réseau. Attention ! la désaccoutumance devra être graduelle, sous peine de graves crises de manque.

En guise de traitement, les patients liront des livres. Là aussi, il faudra y aller à petites doses. D'abord, des mangas. Ensuite, quelques paragraphes d'Harry Potter… Des passages courts, avec des mots simples.

Un ami m'a reproché la longueur de certains articles.

J'ai plaidé ma cause en faisant remarquer que ces textes comportaient des paragraphes précédés d'un titre, et qu'on n'était pas obligé de tout lire d'une traite.

"Nan ! Trop long… quand j'ai vu la longueur de l'ascenseur à droite de la fenêtre, j'ai tout de suite su que je ne le lirai jamais."

Direct et simple. C'est tendance.

Trop long, trop compliqué, trop difficile… j'avais la flemme.

Cet ami m'a aussi dit que d'ici une génération, beaucoup d'enfants n'auront pas la chance de naître dans une famille où les parents sauront lire.

Ce sera le NMA ! Le Néo Moyen Âge…

J'ai mis un accent aigu sur "Néo", mais attendez-vous à ce que ces signes encombrants disparaissent à la prochaine réforme de l'orthographe. Y a pas d'accent en anglais, ça empêche pas de faire du business.

Au Moyen Âge, la majorité du peuple français ne savait pas lire.

Au Néo Moyen Âge, il saura lire "un petit peu", juste assez pour déchiffrer des messages sur Facebook ou Twitter, en suivant avec le doigt sur l'écran…

"b… bo… bon an… niv, pol. kikou… lol !"

Non, pas de majuscules non plus. C'est mieux, les petites lettres.

De plus en plus de manuels ou guides d'utilisateur se passent d'explications écrites. Elles sont remplacées par des images. Le dernier guide de montage de ce type que j'ai décrypté était un vrai casse-tête chinois, c'est le cas de le dire.

Peut-être qu'ils finiront par remplacer l'expression Made in China par ce logo, plus facile à comprendre…


Bientôt, les claviers disparaîtront, remplacés par des logiciels de reconnaissance vocale.

Récemment j'ai regardé cette définition de Twitter :
Twitter est un réseau social de microblogage géré par l'entreprise Twitter Inc. Il permet à un utilisateur d'envoyer gratuitement de brefs messages, appelés tweets, sur internet, par messagerie instantanée ou par SMS. Ces messages sont limités à 280 caractères.
Tweet, verbe anglais, signifie "pépier, gazouiller".

Tweet ! Tweet ! Cui ! Cui !

Microblogage…

Micro veut dire "petit".

"Blogage", du mot Blog, abréviation de Web log ou Toile journal.

L'anglais transforme le nom "Toile" en une sorte d'adjectif appelé modifier, placé avant le nom.

"Bienvenue sur mon Toile journal où les articles sont plus longs que sur celui de ma tante, n'est-il pas ?"

La "Toile" (toile d'araignée), c'est Internet.

Net, en anglais, signifie "réseau"

Inter-, c'est "entre".

Le réseau entre (qui relie) les ordinateurs.

Donc microblogage : petit journal sur (la Toile) Internet.

Un journal de 280 caractères ! Y a pas de doute, c'est du "petit" blogage.

Extrait de Wikipédia :
Depuis le 26 septembre 2017, Twitter offre la possibilité à certains de ses utilisateurs de dépasser la limite des 140 caractères traditionnels pour en atteindre désormais 280. Ce changement, appliqué à l'ensemble des utilisateurs le 7 novembre 2017, a provoqué la réaction sarcastique du porte-parole du gouvernement allemand Steffen Seibert qui a indiqué : "La brièveté est sœur du talent", reprenant une citation de l'écrivain russe Anton Tchékhov.
Voyant cela, je me suis dépêché de trouver un livre d'Anton Tchékov. Je suis tombé sur ce recueil de nouvelles, Sorcière , et sur la première page, dans le premier paragraphe de la première nouvelle, j'ai trouvé cette phrase :
Elle était accoutumée à ce que des pensées lui viennent chaque fois qu'elle quittait la grande allée pour prendre sur la gauche un chemin étroit ; là, dans l'ombre épaisse des pruniers et des poiriers, des branches desséchées égratignaient ses épaules et sa nuque, des toiles d'araignée couvraient son visage et l'image du petit homme de sexe indéterminé avec ses contours imprécis grandissait dans ses pensées, et il lui venait l'impression que les tendres caresses sur son visage et sa nuque étaient le fait du petit être et non celles des toiles d'araignées : au bout du chemin, lorsque derrière la haie ténue apparurent les ruches ventrues capuchonnées de glaise, que l'air immobile et croupissant fut embaumé par l'odeur du foin et du miel et que se fit entendre le bourdonnement léger des abeilles, le petit être l'envahit tout entière.
Cette phrase unique contient 842 caractères, espaces comprises. Si ! si ! le nom "espace" est féminin en typographie. On dit "une espace". Oui, oui, je sais, même Microsoft n'est pas au courant. Dans leur logiciel Word, si vous cliquez dans la barre de menu sur "Révisions/Statistiques", vous y lirez : Caractères (espaces compris).

Steffen Siebert cite Anton Tchékhov, mais l'a-t-il déjà lu ?

Quand on est porte-paroles d'un gouvernement, c'est bien d'ouvrir un livre, de temps à autre. Ne serait-ce que pour vérifier si la citation qu'on va utiliser est cohérente.

"La brièveté, sœur du talent…" Il faudrait rajouter "reconnu". Parce qu'au-delà d'une certaines longueur, les lecteurs non lettrés ne peuvent plus comprendre les phrases et, par conséquent, ne peuvent plus lire. S'ils ne peuvent pas comprendre ce qu'ils lisent, je vois mal comment ils peuvent voir s'il y a ou non du talent. Et "lire sans comprendre", peut-on encore appeler ça de la lecture ?

Raison : une phrase longue contient ces petits mots ésotériques, les termes grammaticaux, qui assemblent les idées différentes en un tout cohérent.

"Qui, que, quoi, dont, où, lequel, laquelle…" (pronoms relatifs).

"Mais, ou, et, donc, or, ni, car…" (conjonctions de coordination).

"Que, quand, comme, si, lorsque, quoique, puisque…" (conjonctions de subordination).

Pronom : remplace un nom.

Conjonction : qui joint, lie ensemble (des mots, des bouts de phrase, des idées).

Subordination : placé sous (sub) dans un "ordre".

Qui sait encore ça, aujourd'hui ? Et encore, je ne vous ai pas tout mis, comme les auxiliaires être, faire ou avoir. Leurs significations multiples, leurs rôles dans une phrase.

Si ces termes ne sont pas parfaitement compris (aussi bien leur sens que leur fonction), ils provoquent une coupure, une interruption, dans le flux continu de pensée ou d'imagination. C'est insidieux, le lecteur ne s'en rend pas compte. Il a juste une sensation diffuse d'incompréhension, de frustration.

D'où le succès actuel des livres écrits avec des phrases simples, "sujet-verbe-complément".

Actuellement, je suis en train de relire, corriger, relire, corriger, relire, corriger un roman dont le premier manuscrit avait obtenu cette réponse d'une maison d'éditions :


En classant cette lettre dans mon ordinateur, j'avais intitulé le fichier Du miel dans la ciguë.

Notez cette petite phrase anodine : "la forme et la longueur".

Je suis toujours en train de simplifier la forme et de raccourcir la longueur de ce roman, pour le rendre accessible à un public "littérature jeunesse".

Il s'adresse à un public "jeune", car il n'y a pas de sexe explicite ni de violence extrême comme dans Le Trône de fer, de George RR Martin, devenue la série télévisée Game of Thrones (Le jeu des trônes).

Le problème que je tente de résoudre avec ce roman, c'est de simplifier sa forme sans la dénaturer, et de raccourcir sa longueur sans amputer l'histoire.

La solution que j'ai trouvée, c'est de rendre le style plus clair, plus fluide, et l'intrigue plus compréhensible, quitte à rajouter des chapitres qui rendent les idées plus évidentes, mais sans ôter le mystère, ce qui réduirait le suspens.

Pendant que je fais ce travail, le lectorat de ce type d'histoire, supposé jeune, voit son niveau littéraire baisser année après année, et son goût pour le sexe et la violence augmenter.

Je n'ai pas envie de faire ce qui se pratique de plus en plus : rajouter du sexe et de la violence pour plaire à un lectorat plus adulte.

Je ne veux pas non plus appauvrir le style sous prétexte de le "simplifier".

Tout en relisant et corrigeant cette histoire, j'ai l'impression d'avancer sur un tapis roulant qui recule.


La forme et la longueur

Si vous allez à Disneyland Paris, vous y trouverez l'attraction It's A Small World où l'on entend cette chanson, reprise dans toutes les langues…

Au bout du Pôle Nord ou sur l'Équateur,
Y a un Jean qui rit, y a un Jean qui pleure
Du soleil de midi au soleil de minuit
On a tous la même vie

Car le monde est tout petit
Devant le ciel on se dit
Que nous sommes des fourmis
Le monde est tout petit…
Je veux pas être une fourmi, moi.

Si un businessman veut détrôner Twitter, il n'a qu'à faire un réseau social qui limite les messages à 28 caractères, succès assuré.

Quand j'ai commencé à utiliser Facebook, j'ai été surpris par la taille des messages.

"T'es la plus belle !!"

"Ouah ! trop cool, la photo"

"Magnifique !"

"T'es trop génial"

"Excellent"

"Mdr"*

(* mort de rire)

Y en avait des plus courts : 0 caractère.

Un "J'aime" ou "J'adore" affiché d'un simple clic. On dit pas un "J'aime" ou un "J'adore", on dit un like ("aime" en anglais). Prononcez "laïque".

Je suis mauvaise langue. Sur Facebook, il y a quand même des messages qui font 3, 4 ou 5 lignes. Parfois, des érudits postent des articles, comme sur un blog.

Mais pourkoi y fon pa un rezoo socio ou les mo son rempla C par des imajes ?

On clic, et hop ce kon veu dire safiche

ya plein d iconnes, kom sa on peu raconter plein de choses

Trop kool ! Lol !

Vous avez remarqué que je n'ai pas mis de point final à ces phrases ?

Il paraît que terminer ses SMS par un point est considéré comme grossier ou brutal.

Quand savoir écrire devient un manque de "savoir-vivre", on a un problème.

Je soupçonne que cette règle a été inventée comme prétexte par quelqu'un qui avait la flemme de rajouter un signe de ponctuation en fin de phrase.

Je termine tous mes SMS par un "point". J'écris peu de SMS, mais ils sont bien orthographiés, avec la ponctuation nécessaire pour une expression riche et nuancée. Je fais cela par respect pour la langue française, par respect pour le destinataire. Et pour la beauté du geste.

Depuis qu'on m'a dit qu'il ne fallait surtout pas mettre de point, je fais d'autant plus attention à terminer mes phrases, toutes mes phrases, par un point.

Fin de l'article.


Rejoignez le maquis

Cette partie est exclusivement dédiée aux lecteurs, cette espèce menacée, ces Derniers des Mohicans, irréductibles Gaulois qui résistent, encore et toujours, à l'envahisseur.

Les autres peuvent aller sur Facebook, Twitter ou, encore mieux, aller regarder la télé où il n'y a que des images, faciles à comprendre.

Amoureux des mots et des belles phrases, ici la résistance ! Les Français parlent aux Français ! Notre riche et belle langue servira de langage codé, illisible pour ceux qui ne font pas partie de notre réseau.

Ce sera notre "Les carottes sont cuites, je répète, Les carottes sont cuites", ce message codé utilisé par la radio de Londres pour déclencher des actions dans les territoires occupés par le IIIe Reich durant la Deuxième Guerre mondiale.

Comment être sûr que l'ennemi n'aura pas connaissance de nos communications ?

Soyez sans crainte, à ce point de l'article, il a déjà décroché. Trop long, trop compliqué.

Pour nous en assurer, voici une phrase qui fera fuir les derniers qui, animés de quelque acharnement, se seraient accrochés bon an mal an, vaille que vaille, à la lecture de ce texte, que ce soit par curiosité ou désœuvrement. Nul doute que cette dernière proposition, conjuguée au mode du subjonctif, les aura envoyés vers d'autres pages.

Cependant, notre réseau de résistants n'est pas un cercle fermé. Tous ceux qui veulent le rejoindre sont les bienvenus, même les étrangers. Il doit bien y en avoir, quelque part dans le monde, qui apprennent le français et savent le lire et l'écrire correctement.

En signe de reconnaissance, utilisez ce mot de passe.

La première personne doit dire : "J'aime lire."

La seconde devra répondre : "Et quand je ne comprends pas, je me sers d'un dictionnaire."

Notre réseau n'est pas un réseau social. C'est un réseau de résistance.

Nos armes : livres, blogs, articles de presse, encyclopédies, dictionnaires, langue française, orthographe, grammaire, clavier, stylo, plume… cette plume qui est plus forte que l'épée.

Nos actions et opérations : lire et écrire.

Comment allons-nous appeler ce réseau asocial ?

Que diriez vous de Readbook ?

Dans ta face, le bouc !


Après l'homo sapiens, l'homo portabilis

Hier, ma femme me racontait…

"Je suis arrivée à un carrefour, il y avait plein de gens qui marchaient ou traversaient, au moins une dizaine ; ils avaient tous le nez dans leur portable !"

Toujours hier, le même ami cité plus haut me dit :

"T'as pas vu que je t'ai appelé ? T'as pas décroché ?

– Euh, non… j'ai pas dû l'entendre, je n'avais pas le téléphone avec moi. Et puis, tu sais, je ne suis pas trop porté sur le portable."

J'avais déjà remarqué que lorsque des gens m'appelaient, le fait que je ne décroche pas instantanément était parfois interprété comme un refus de communiquer. Comme si je voyais l'appel sur l'écran, mais que je faisais exprès de ne pas décrocher.

9 fois sur 10, mon portable est en mode silencieux, parfois même éteint. Je préfère qu'on m'envoie un mail. Ça me permet de répondre quand je suis disponible, quand je ne suis pas en séance avec un client ni occupé à écrire.

Aussi, l'écrit possède l'avantage de conserver un souvenir, une "mémoire" de ce qui est dit.

Le téléphone est amnésique.

Autrefois, dans les transports, on voyait les gens lire. Aujourd'hui, l'écrasante majorité a le regard rivé sur l'écran de son smartphone.

Stephen King a écrit une dystopie (l'inverse d'une utopie) sur ce sujet : Cellulaire.

Ce roman n'est pas très bien noté sur Amazon : 3, 5 étoiles sur 5.

Dans les commentaires, certains lecteurs, qui disent avoir aimé d'autres romans de King, n'ont pas compris où l'auteur voulait en venir, pas compris son message : "Je ne sais pas quel message a voulu faire passer SK mais ce que je sais c'est que rien n'est passé…"

L'auteur de ce commentaire a a mis la note la plus basse, 1 sur 5.

Certes, le style de ce roman est plus lourd que celui des best-sellers qui ont fait le succès du maître de l'horreur. La traduction française doit y être pour quelque chose, car la version originale est mieux notée sur Amazon.com. En français, j'ai relevé beaucoup de propositions entre parenthèses au milieu de phrases plutôt longues.

Alors, Stephen, quand est-ce que tu vas moderniser ton style et te mettre à micro-écrire ? Tu peux pas faire "cui ! cui !" comme tout le monde ? Non, mais tu réalises ? Des phrases de 365 caractères  !

Pourtant, je penche pour une autre explication : ces lecteurs ont eu du mal à s'identifier aux personnages, sachant que tout au long de l'histoire, King tourne en dérision le portable et ses usagers.
Lorsqu'il reprit sa position initiale, les trois gamins aux jeans tirebouchonnés étaient partis et la femme en costard élégant commandait un sundae. L'une des deux adolescentes qui se tenaient derrière elle avait un portable vert menthe accroché à la taille ; la femme au caniche tenait le sien collé à l'oreille. Clay se dit (comme il le faisait presque toujours de manière plus ou moins consciente lorsqu'il était confronté à une variation de ce comportement) qu'il était témoin d'un geste devenu banal et accepté, alors qu'il aurait été naguère considéré comme le comble de l'impolitesse – oui, même dans le cadre d'une simple transaction commerciale avec un parfait étranger.
Ça continue comme ça tout le long du livre.

Quant à ce lecteur qui se plaignait que "le message n'était pas passé", il ne devait pas avoir de réseau.

1 commentaire:

  1. Super mais trop court !

    Rien n'est perdu, j'ai vu hier un article indiquant que des jeunes préfèrent lire des livres papier plutôt que d'avoir une liseuse.

    Et n'oubliez pas que sur facebook ou ailleurs, les messages sont envoyés via un téléphone, ce n'est pas aussi pratique qu'un clavier d'ordinateur pour taper même rien qu'une dizaine de mots.

    Et puis, entre les astéroïdes (appelés géocroiseurs) qui sont susceptibles de nous percuter, les pollutions, les centrales nucléaires vétustes, le manque d'eau potable, la rareté du sable, oui du sable (un comble !), les extraterrestres qui vont débarquer très bientôt (parait-il) et j'en oublie, les réseaux et téléphones n'existeront plus que dans les musées, et encore !

    Merci pour ces articles

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